Critiques

Suspension de Joyce Lafitte Ntseghe du RPM : quand la liberté de ton défie la discipline de parti

Au-delà du simple fait divers politique, la suspension de Joyce Lafitte Ntseghe du Rassemblement pour la Patrie et la Modernité (RPM) soulève une question essentielle : jusqu’où peut-on aller quand on est en désaccord avec son propre camp ?

Le secrétaire exécutif adjoint du RPM, également porte-parole du parti, a été suspendu de ses fonctions à titre conservatoire, suite à la publication d’un texte intitulé « À la guerre comme à la guerre », dans lequel il s’en prend ouvertement aux candidats de l’Union pour la Démocratie et le Bonheur (UDB), les qualifiant notamment d’anciens « PDGistes réformés« . Une déclaration jugée inopportune et clivante, au regard des équilibres politiques actuels et du positionnement stratégique du RPM.

Le communiqué officiel du parti, signé de sa direction, évoque une volonté de préserver son image et l’unité prônée par son président, Alexandre Barro Chambrier. En pleine campagne électorale, alors que le RPM cherche à rassembler les forces de l’opposition et à se poser en alternative crédible, cette sortie a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Car au-delà du fond, c’est la forme, le moment, et surtout la position de son auteur qui posent problème.

Une liberté d’expression à géométrie variable ?

Joyce Lafitte Ntseghe a-t-il eu tort d’exprimer une opinion ? Non, si l’on s’en tient à la lettre de la liberté d’expression. Oui, si l’on considère la responsabilité politique et stratégique liée à sa fonction. Être porte-parole d’un parti, c’est porter une voix commune, pas une parole solitaire. C’est incarner une ligne, non la commenter. Or, en publiant une tribune personnelle au ton offensif, le secrétaire exécutif adjoint a brouillé les signaux. Il a mêlé son rôle de candidat à celui de responsable national, engageant l’image du parti sur une ligne de fracture qu’il aurait pu, sinon dû, régler en interne.

Ce n’est pas la première fois que des responsables politiques gabonais se retrouvent pris entre convictions personnelles et discipline de parti. Mais cette fois, le contexte rend l’affaire plus délicate : la recomposition politique post-transition, la pression des élections à venir, et la volonté affichée par plusieurs formations de faire front commun contre les héritiers du système Bongo-PDG.

Dans ce schéma, une sortie publique de ce type ne peut qu’apparaître comme une dissonance, voire une provocation. Car elle affaiblit le message d’unité, met en difficulté les alliances, et offre une prise facile aux adversaires.

La discipline, socle de toute organisation politique sérieuse

La politique n’est pas un champ d’expression libre sans règles. C’est un espace structuré, traversé par des tensions, mais qui repose sur des équilibres. Quand on adhère à un parti, on en accepte le cadre, la ligne, et les arbitrages. Et quand on n’est plus en phase avec ces choix, la logique voudrait qu’on se retire. Pas qu’on tire contre son propre camp, tout en conservant ses titres et fonctions.

Dans des partis plus institutionnalisés, ce type de situation est souvent encadré : les divergences se règlent en interne, dans des cénacles politiques, avant d’être éventuellement assumées publiquement. Dans le cas présent, le canal choisi par Joyce Lafitte Ntseghe, une tribune publique aux accents combatifs, laisse penser à un acte plus politique que personnel. Une prise de position qui ressemble à un coup de pression, mais dont le timing interroge sur la finalité réelle.

Faut-il y voir un malaise plus profond au sein du RPM ? Des frustrations liées à des décisions stratégiques ou des candidatures imposées ? L’avenir le dira. Mais une chose est sûre : cette suspension marque un tournant dans la gestion de la parole politique au sein du parti.

Une leçon de rigueur pour les états-majors

Ce qui vient de se passer devrait servir d’alerte à l’ensemble de la classe politique gabonaise. Les partis doivent aujourd’hui apprendre à gérer les désaccords autrement qu’en crise ouverte. Cela suppose de structurer des espaces de débat en interne, de clarifier les rôles, et surtout de ne pas laisser les frustrations s’accumuler jusqu’à l’explosion.

À l’inverse, les responsables politiques doivent comprendre que la légitimité s’accompagne de devoirs. On ne peut pas porter l’uniforme du parti et en même temps jeter des grenades dans le camp. La cohérence, la loyauté, et la maîtrise de sa parole ne sont pas des options, ce sont des obligations.

La suspension de Joyce Lafitte Ntseghe est donc à la fois une mesure de protection de l’image du RPM, et un message adressé à l’ensemble de ses cadres : on peut critiquer, mais on doit le faire dans le respect du cadre. Sinon, c’est la cohésion du parti qui vacille. En politique, la parole est une arme. Mal utilisée, elle peut faire plus de dégâts qu’un adversaire.

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